Ma Mère Mes Silences

 

Maman tu es morte le 4 avril 2019
Je pose la question :
Peux-tu mourir une seconde fois ?
Je veux
Lacérer tes écrits
Déchiqueter tes fictions
A grands coups de pistolet
Crever tes toiles
Consciencieusement
Déchirer ta mémoire
Retisser mes certitudes
Détisser ta toile

Je pose la question :
Peux-tu mourir une seconde fois ?
Je veux
Eparpiller tes livres
Brader tes souvenirs
Te vendre aux enchères
Interroger sur ma route
Galerie Vivienne galerie mémoire
Le troupeau de fous sages
Agglutinés à la vitrine
D’un bouquiniste de passage
Je veux
Ecrire des mots impossibles à écrire
Je veux
Ecrire des mots interdits
Tracer des mots qui nettoient
Je veux
Ecrire un scénario impossible à filmer
Je veux
Faire un film interdit qui creuse l’interdit
Interdit ouvert aux spectateurs

Je pose la question :
Peux-tu mourir une seconde fois ?
Je veux
Penser ta disparition
Réduire tes traces
Effacer ton empreinte
Je veux
Penser le dépouillement la dépossession
Je veux
Penser l’impossible transmission
Renverser la transgression
Anéantir la passation
Je veux penser le déchirement
De celle qui me colonisa
Je veux penser la désincarcération, le désemboîtement
De celle qui me bâillonna

Je veux penser des mots qui tuent
Je veux penser des mots qui respirent
Ouvrir ma bouche en grand
Jeter ma langue en avant
Les fous sages sont revenus me voir
Galerie vivienne galerie mémoire
Combien d’années ont passé ?
Trente, quarante ans ?
Même justaucorps multicolore
Jaquette à peine raidie par le temps
Leurs grimaces m’avaient séduite
A petite mère ce livre de contes offert
Eternelle enfant au jardin piétiné.
Du haut de ses 7 ans
Sur le chemin de l’école
Mangea des roses pour oublier.
Oublier le gout amer de son père
Oublier le gout amer de mon grand-père.

Etrange rhétorique d’une enfant mère
Moi l’adulte devenue
Qui sait bien que le passé
Reste engrammé enkysté
Ne se découpe pas
Ne se déchire pas
Ne se lacère pas
Ne meurt pas
Les mots restent vivaces
Jamais fugaces.
La filiation se dépose
Incarnation agissante.
Moi petite fille devint sa coquille
Son abri son trésor
De la femme enfant
à l’enfant mère
Il y eut toi il y eut moi
Moi le parloir
où chuchoter tes secrets
Moi l’urinoir
où déverser tes idées noires
Moi le miroir
où jeter tes espoirs
Tu bâillonnas mes envies
y fourras tes interdits
En rivale potentielle
Je fus dépecée dépossédée
Je devins ta grande oreille
Soutien sans pareil
Ton guide ta voile ta survie
Tandis que tu te débattais et prospérais
Je déclinais
Souffrance invisible
D’une enfance sans manque
Sans manque matériel
Une maison un toit un abri
Une famille sans pareille
Enfant choyée adultérisée
Intronisée bâton de survie
Seule sans témoin
Mise au secret
Un père au loin
Acculée dans mes recoins
Violation à pas feutrés
Insoupçonnée
De mots qui tachent
Attachent entachent
De la femme enfant
à l’enfant mère
Il y eut : confusion des genres
Transgression des places
J’ai mis du temps à comprendre
Une vie d’adulte à comprendre
Les mots qui tachent
Attachent entachent

Pêle-mêle La filiation transmet
Le même et le différent
Artiste tu étais artiste je suis
Pêle-mêle héritage et ravage
Pêle-mêle naufrage et rivage
La filiation transmet
La filiation nous dit
Et raconte pêle-mêle
L’engrammé, l’enkysté
L’insoupçonné
De la pointe de mon stylo
Tirer !!!
Tirer à voix haute
Tirer à mots portants
Tirer à gorge déployée !
Tirer !!!
A découvert !